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Je la lus et la relus, cette bienheureuse dépêche, vingt fois, cent fois, comme on fait d’une lettre d’amour. Songez ! ma première pièce… Voyant mes mains trembler d’émotion, et le bonheur luire dans mes yeux, les agas me souriaient et se parlaient entre eux en arabe. Le plus savant fit même appel à toute sa science pour me dire : « France… nouvelles… famille ?… » Eh ! non, ce n’étaient pas des nouvelles de ma famille qui me faisaient battre ainsi le cœur délicieusement. Et ne pouvant m’habituer à cette idée de n’avoir personne à qui faire part de ma joie, je me mis en tête d’expliquer, avec les quatre mots d’arabe que je savais et les vingt mots de français que je les supposais savoir, ce qu’est un théâtre, et l’importance d’une première représentation parisienne, à l’aga des Ataf, à Sid’Omar, à Si-Sliman, à Boualem Ben-Cherifa. Travail ardu, comme bien l’on pense ! Je cherchais des comparaisons, je multipliais les gestes, je brandissais la pelure bleue de la dépêche en disant : Karagueuz ! Karagueuz ! comme si mon attendrissant petit acte,