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rage, et dis brutalement, tout d’une haleine, ce que je pensais :

— Buisson, nous nous sommes tous trompés en voulant faire comprendre à Paris la grâce de ton gros tambour et la mélodie de ton fifre. Je me suis trompé ; Gautier, David se sont trompés, et, par ricochet, tu te trompes. Non, tu n’es pas un rossignol…

— Ce m’est vénu… interrompit Buisson.

— Oui ! ça t’est venu, je le sais, mais tu n’es pas un rossignol. Le rossignol, lui, chante partout, ses chansons sont de tous les pays, et dans tous les pays ses chansons se font comprendre. Toi, tu n’es qu’une pauvre cigale, — dont le refrain monotone et sec va bien aux pâles oliviers, aux pins pleurant la résine en larmes d’or, au vif azur, au grand soleil, aux coteaux pierreux de Provence, — mais une cigale ridicule, lamentable, sous ce ciel gris, dans le vent et la pluie, avec ses longues ailes mouillées. Retourne donc là-bas, rapporte là-bas ton tambourin, joue des aubades, des sérénades, fais danser les belles filles en farandoles, conduis en marche triomphale les vainqueurs