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flûte rustique qui fait tu… tu… tandis que le tambourin fait pan… pan ! Le cylindre voilé était le tambourin lui-même. Quel tambourin, mes amis ! les larmes m’en vinrent aux yeux lorsque je le vis déballé : un authentique tambourin du siècle de Louis XIV, attendrissant et comique à la fois dans son énormité, grondant comme un vieillard pour peu qu’un bout de doigt l’effleure, en fin noyer agrémenté de légères sculptures, poli, aminci, léger, sonore, et comme assoupli sous la patine du temps. Sérieux comme un pape, Buisson accroche son tambourin au bras gauche, prend le galoubet entre trois doigts de sa main gauche (vous avez vu la pose et l’instrument dessinés dans quelque gravure du dix-huitième siècle ou sur un fond d’assiette de Vieux-Moustier), et, maniant de la main droite la petite baguette à bout d’ivoire, il agace le gros tambour qui de son timbre frissonnant, de son bourdonnement continu de cigale, marque le rythme et fait la basse sous le gazouillement aigu et vif du galoubet. Tu… tu ! pan… pan ! Paris était loin, l’hiver aussi.