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plus contestées, n’était rien, et la chose ne prit que quelques mois.


Mais Philoxène prétendait mieux : voulant écrire un livre sur Shakespeare, un livre complet, définitif, monument en un mot digne du dieu, il conçut l’invraisemblable projet de lire auparavant, pour en extraire la quintessence, tout (mais là tout, sans en excepter le moindre article ni le plus mince document), tout ce qui depuis deux cents ans jusqu’à nos jours aurait été publié sur Shakespeare. Amoncellement d’in-folios poudreux, suffisant pour bâtir une Babel : et la Babel, hélas ! fut bientôt dans la tête de Philoxène. Je l’ai vu chez lui, ne s’appartenant plus, de tous côtés débordé par Shakespeare. Cinq mille, dix mille volumes sur Shakespeare, de tous formats, en toutes langues, montant jusqu’au plafond, obstruant les fenêtres, écrasant les tables, envahissant les fauteuils, entassés, croulants, dévorant l’air et la