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écrit ce livre trop jeune. Toute une partie de mon existence était trop près de moi, je manquais de recul pour la voir et, n’y voyant pas, j’ai inventé. Ainsi le Petit Chose n’a jamais été comédien ; il n’a jamais même pu dire un seul mot en public. Le commerce de la porcelaine lui est également inconnu. Pierrotte et les yeux noirs, la dame du premier, sa négresse Coucou-blanc, faits de chic, comme disent les peintres ; et il leur manque bien le relief, la vraie articulation de la vie. De même pour les silhouettes littéraires où l’on a cru voir des personnalités blessantes auxquelles je n’ai jamais songé.

À signaler pourtant, parmi les réalités de mon livre, la chambre sous les toits, contre le clocher de Saint-Germain-des-Prés, dans une maison maintenant démolie qui laisse mon regard vide chaque fois que je cherche en passant la place de tant de folies, de misères, de belles veillées de travail ou de morne solitude désespérée.