Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le gardien.

Quand c’est pour elles qu’on est lâche, les femmes vous pardonnent toutes les lâchetés.

balthazar.

Alors, grand bien te fasse, mon garçon. Ici, grâce à Dieu, nous en avons fini avec cette folie-là. L’enfant se marie dans quatre jours, et cette fois il prend quelqu’un d’honnête.

le gardien.

Ail ! oui, il est bien heureux, lui. Ce doit être si bon de s’aimer librement, à la face du ciel et des hommes, d’être fier de ce qu’on aime, et de pouvoir dire au monde qui passe : « C’est ma femme, regardez-là ! » Moi, j’arrive la nuit comme un voleur. Le jour, je me cache, je rôde autour d’elle, et puis, quand nous sommes seuls, ce sont des scènes, des querelles : « D’où viens-tu ?… Qu’as-tu fait ?… Quel est cet homme à qui tu parlais ?… » Et des fois qu’il y a, au milieu de nos caresses, il me vient des envies de l’étouffer pour qu’elle ne me trompe plus… (Ici, le groupe enlacé des amoureux paraît, traversant la scène dans le fond.) Ah ! l’horrible vie de mensonge et de méfiance ! Heureusement, ça va finir. Maintenant nous allons vivre ensemble, et malheur à elle si…

balthazar.

Vous vous mariez ?…

le gardien.

Non, je l’enlève… Si tu es aux bergeries cette nuit, tu entendras une fière galopade dans la plaine. J’aurai la belle en travers de ma selle, et je te réponds que je la tiendrai solidement.