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comme lui tu as la famille pour bourreau… Seulement, toi, Dieu n’a pas songé à t’envoyer un petit agneau qui fût immolé à ta place, et le coutelas d’Abraham (avec un geste terrible) a fait son œuvre jusqu’au bout.

namoun, se dressant avec colère, les poings serrés.

Macach bono, Abraham !… Ou-Allah ! macach bono. (Il bondit du divan et sort par le fond d’un air furieux.)

franqueyrol, se tournant.

Hein ?… qui est donc là ?…

henri.

Rien. C’est Namoun qui se réveille et qui retourne au travail… voilà l’heure… (La cloche des ateliers sonne. La cour du fond se remplit d’ouvriers. Henri, se levant avec effort.) Allons ! (Il va vers la table.)

franqueyrol.

Où vas-tu ?

henri.

Travailler, comme les autres. Je suis un ouvrier, moi aussi. Mon temps ne m’appartient pas. Adieu, Pierre, ton apologue est cruel, mais je te le pardonne, tu n’as pas de mère, toi. Il y a des choses que tu ne peux pas comprendre.

franqueyrol, allant à lui et lui prenant les mains avec effusion.

Si ! je comprends bien, va !… je comprends qu’en dépit de tout la famille est grande et sacrée puisqu’elle inspire des dévouements pareils ; et, qui sait ? c’est peut-être le chagrin de n’en pas avoir qui me fait parler d’elle avec tant d’amertume. Seulement,