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tiroir… tu comprends, ces pauvres vieux ! ils en avaient eu assez de ces histoires-là ; je ne pouvais pas les y fourrer encore. Par exemple, j’ai eu du mal… Ah ! oui, j’ai eu du mal… cet argent, ce terrible argent qu’il fallait décrocher tous les mois… Et puis, c’est qu’à la maison on ne le ménageait guère. J’avais tellement l’air d’en avoir plein mes poches… on me faisait des cadeaux, des surprises. Le jeudi, quand j’arrivais, quelquefois j’étais à jeun depuis la veille, je trouvais des galas, de vrais galas préparés en mon honneur. Alors, si j’essayais de gronder, bien doucement, tout le monde se récriait et j’entendais au fond de la cave la bonne grosse voix du père Jourdeuil : « Ce serait trop fort que les jours où tu viens on ne mit pas les petits plats dans les grands. » Il n’y avait rien à répondre. Il fallait s’asseoir, manger avec enthousiasme, et… et de l’entrain tout le temps ! sans quoi, voilà la pauvre mère très inquiète, s’imaginant je ne sais quelles folles histoires, et me prenant dans les petits coins pour me dire d’un air de reproche : « Tu en mènes une vie, hein ! » C’était navrant.

franqueyrol.

Pécaïre !

henri.

Mon cher, j’ai fait ce métier-là pendant deux ans, espérant, espérant toujours. Mais un moment est venu où malgré tous mes efforts j’ai senti la misère monter, m’envahir, arriver jusqu’à eux par-dessus ma tête… Oh ! alors, j’ai eu peur. Non pas pour moi, tu penses bien. J’avais pâti deux ans, je pouvais pâtir dix ans encore, toute la vie, s’il eût fallu…