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liote vient de gagner… Est-ce que je ne vous l’avais pas dit ? Oh c’est un vrai triomphe ! Nous sommes partis cinq de New-York, tous des petits navires, à qui serait le premier au Havre. Dam ! on ne s’est pas amusé en route. Dix-huit jours dans le vent, entre ciel et mer… Mais, comme la petite galiote a des ailes, hier soir, à dix heures, j’entrais dans le port du Havre, et bon premier, comme on dit à la Marche ! Les autres ne sont arrivés que dans la nuit. (Tristement.) Excepté un, qui n’arrivera jamais, pécaïre ! (Gaiement.) Fait rien ! Les Américains sont enfoncés, et vive la marine d’Arles !…

le père jourdeuil.

Vive la marine d’Arles !… Tu ne peux pas manquer ce dîner-là !

louise.

Et Henri ?

franqueyrol.

J’irai le voir demain.… Seulement, je vous en prie, ne lui dites pas que je suis arrivé. Laissez-moi la joie de le surprendre ; je sais bien que c’est un enfantillage, mais tous les voyageurs, les vrais, les enragés, nous avons cette manie d’arriver à l’improviste. C’est si bon, de tomber comme du ciel dans des bras qui vous aiment !… C’est si bon, l’œil étonné qui s’ouvre, les chères mains qui tremblent, la bouche qui croit dire : « Comment, c’est… c’est toi… » et qui ne dit rien… Au diable les salles d’attente ! elles nous gâtent cette belle minute de l’arrivée, qui est peut-être ce qu’il y a de meilleur dans le voyage.