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madame jourdeuil.

Enfin, les chiffres sont là… Plus nous allons, plus notre dépense augmente, et quand je songe que c’est notre pauvre Henri qui doit subvenir à tout…

louise.

Ah çà ! d’où te viennent donc toutes ces vilaines idées aujourd’hui ?… Est-ce que c’est ce gros livre qui te les donne ? Prends garde, je vais dire à Henri de te le confisquer.

madame jourdeuil.

Je te le défends bien, par exemple ! Tu m’entends, Louise : Jamais un mot là-dessus à ton frère.

louise, elle a repris sa crème et la bat avec animation.

Ah ! si Henri n’était pas riche, s’il se privait de manger pour nous donner du pain, je comprendrais tes inquiétudes, tes remords, et, certes, je les partagerais mais enfin, ce n’est pas le cas : mon frère a du succès (baissant la voix) et du talent, quoi qu’en dise papa. Sa peinture se vend bien. Il gagne beaucoup d’argent, alors quoi ?…

madame jourdeuil.

On a beau gagner de l’argent, c’est lourd, une famille, quand on est seul et qu’on porte tout.

louise.

Bah ! petite mère, nous ne pesons pas bien gros, toi et moi ; d’ailleurs, si la charge est trop lourde pour un seul, il fallait rester à Paris ; moi, j’aurais porté quelque chose. J’avais mes diplômes, j’aurais