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ambroix

Je n’avais que lui pour me faire compagnie pendant ces affreux dimanches où votre paroisse vous accapare, et maintenant, cela me manque de ne pouvoir plus parler du passé avec cette bonne figure. D’ailleurs, Gertrude, en bonne conscience, si nous devions faire aussi peu de cas de cette toile, était-ce la peine de la garder et d’en priver la famille de Léopold ? Il était si charmant pour tous, ce grand écervelé ! Tout le monde l’aimait. (Il se lève.) Vous rappelez-vous comme il était gai, rieur, amusant ? Et de l’esprit ! avait-il de l’esprit, hein ?

madame ambroix

Il en faisait, surtout.

ambroix, arrangeant le chàle de Gertrude.

Eh bien, oui, il en faisait, et puis ? Quel mal voyez-vous à cela ? Quand vous avez du café en grain chez vous, vous faites du café, n’est-ce pas ? et personne ne s’en plaint ; de même pour l’esprit, quand on en a, on en fait, et je n’y vois rien à redire. Du reste, avouez-le, qu’il eût de l’esprit ou qu’il en fit, Léopold ne vous a jamais entièrement convenu. Cette nature railleuse, ardente, avait de quoi vous troubler et vous effrayer, ma chère eau qui dort. (Il va mettre du sucre dans sa tasse.)

madame ambroix

Voilà le dixième morceau de sucre, au moins, que vous noyez dans votre tasse, ce café ne sera pas buvable… (Elle prend le sucrier et l’enferme dans le buffet dont elle retire la clef.)