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garder mon deuil, ne plus aimer, souffrir toujours. Est-ce qu’on est maître de ces choses ? Doit-on aimer, ou ne pas aimer ? On aime, et rien de plus. Tu lui en veux, à elle, d’avoir pu sécher mes larmes ? Tu m’en veux, à moi, de m’étre laissé consoler. Mais alors que n’étais-tu là pour me défendre contre elle, pour me garder contre ses charmes ? Tu es fort, toi, tu es brave ; mais moi, tu sais bien que je suis faible, tu sais bien que je suis lâche… mon cœur est grand comme ça… C’est toi qui me l’as dit… Que veux-tu ? Cette fois encore, j’ai été faible, j’ai été lâche ; mais je bénis ma lâcheté, car je lui devrai le bonheur de ma vie. Claire, ma chère femme, ne pleurez plus, ne tremblez pas. Je vous jure que je vous aime, et que rien ne m’est précieux au monde comme cette petite main que je serre contre mon cœur.

dominique, sourdement.

Serre-la bien, alors, pour que cette fois rien ne vienne te l’enlever.

andré

Venez, Claire, laissons ce cœur implacable. Il ne sait rien de vous, il ne sait pas quelle femme vous êtes et que vous avez sur la terre la mission de consoler.

dominique

Je n’aime pas ces consolatrices, elles font trop vite oublier.

andré

Elles font oublier, peut-être, mais elles n’oublient