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andré, se mettant devant lui.

Voyons, frère, reviens à toi, parle-moi, dis-moi ce que je t’ai fait, ce que tu me reproches… Mais, au nom du ciel ! ne t’en va pas ainsi.

dominique, revenant avec lui sur le milieu de la scène.

Tu veux que je parle ?

andré

Oui, je le veux.

dominique

Alors, écoute. Te souviens-tu des belles histoires que je te racontais, quand tu étais petit ? Eh bien ! c’est une histoire de ce genre que je vais te conter avant de partir. C’est la dernière, par exemple, la dernière. Ecoute bien : il y avait deux frères qui s’aimaient beaucoup… Le sort les ayant faits orphelins de très bonne heure, l’ainé de ces deux enfants servait de père à l’autre et lui avait donné sa vie. Un jour pourtant, qui l’aurait cru ! dans cette âme vouée à l’amour fraternel, naquit une atfection d’un autre genre. L’ainé des deux frères aima ; il aima éperdument, mais tout d’abord lutta contre son amour. Le pauvre homme se disait que c’était mal, qu’il n’avait pas le droit d’être épris de la sorte, que son ancienne affection allait être sacrifiée à la nouvelle, et mille beaux scrupules de ce genre. Or, tandis qu’il luttait ainsi dans le plus profond de son âme… et la lutte était rude, car la passion le tenait bien ! son frère, un matin, vint se jeter dans ses bras avec le beau cri de guerre des amoureux de vingt ans : « J’aime et je suis aimé ! — « Et le nom de celle que tu aimes ? » lui demanda l’ainé en souriant.