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lade. (Il montre son front.) Et puis si tu savais comme par moments tu lui ressembles… même voix… même regard… À l’instant encore, c’est elle que j’ai revue là devant moi, et quand tu as posé tes lèvres sur mon front…

virginie

Oh ! tais-toi…

vidal

Me taire ? hélas ? il n’y a que les morts qui sachent se taire, et rien n’a pu mourir encore ici dedans. Quelquefois je crois que tout est fini… Oui, je passe quelquefois des journées entières sans souffrir… Je ne me souviens plus, je ne vis plus, je suis heureux ; mais, hélas ! avant la fin de la journée, une heure vient toujours qui m’apporte à la fois tous mes souvenirs et toutes mes souffrances… Je me revois là-bas, dans mon grand atelier, frappant ferme sur l’enclume, au feu rouge de la forge, puis le soir venu, je me vois rentrant à la maison… je te trouvais jouant aux pieds de ta mère. Te souviens-tu comme elle était belle ? mise comme les ci-devantes et fière comme elles. J’arrivais… ta mère venait au-devant de moi, en souriant… elle avait si grand air que cela m’imposait toujours un peu et, dam !… alors, je te prenais dans mes bras et je te mangeais de caresses. Il y en avait beaucoup pour elle là-dedans…

virginie

Assez !… assez !… Tu te fais trop de mal.

vidal

Fille, te souviens-tu du soir où je te trouvai seule