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rasque, l’odeur du poisson, la loi sur les émigrés… Si je tombe aux mains des paysans, décapité ! si je tombe aux mains des soldats, fusillé !… sans compter que je pouvais tomber à la mer et me noyer, (montrant la muraille) OU tomber à faux et m’estropier… Tout cela, pourquoi ?… Parce qu’il a plu à une belle émigrée d’avoir une fleur de France. Décidément, marquis, tu es un héros ou un fou ; mais pour le moment tu as l’air d’un gueux… Regarde-toi, tes bottes sont lourdes de sable, ton catogan est rempli d’eau… Fi ! le vilain gentilhomme ! C’est égal, comtesse, si j’en réchappe, voilà un petit caprice qui vous coûtera cher, et vive Dieu ! ce n’est point pour des reines-claude qu’on sera venu vous cueillir un bouquet dans votre château de Saint-Vaast… — Çà, voyons, je ne me trompe pas, au moins ?… Je n’ai pas pris un château pour un autre ?… Consultons encore les indications que nous avons prises. (Il ouvre un carnet de poche et lit.) « Le fief de Saint-Vaast, sur la plage normande, » c’est cela… « à cinq minutes du village du même nom… » Fort bien. « Au fond du parc… » j’y suis… « une petite porte… » voilà. « Un pavillon… » voici… « une serre…» nous y sommes… « À …l’autre extrémité, le château… » (regurdant par la gauche, à travers les arbres) je l’aperçois… Oh ! oh ! ici mes renseignements sont inexacts. Des locataires… on ne m’avait pas prévenu Des fenêtres ouvertes, du linge étendu… Ah ! chère comtesse ! Un drapeau aux trois couleurs flotte sur le balcon… voilà ce qu’on a fait de votre château… Et moi qui croyais trouver une maison en deuil, des herbes sur le perron, du lierre sur la muraille, et les scellés de l’araignée posés sur toutes les portes… Allons, c’est dit, mon pauvre