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ment sur lui, Pascalon avait perdu sa gaieté, ses vives gambades.

À un tournant de route, comme ils venaient de franchir la Lutschine sur un de ces ponts couverts qu’on trouve dans les pays de grande neige, une formidable sonnerie de cor les accueillit.

« Ah ! vaï, assez !… assez !… » hurlait la délégation exaspérée.

L’homme, un géant, embusqué au bord de la route, lâcha l’énorme trompe en sapin descendant jusqu’à terre et terminée par une boîte à percussion qui donnait à cet instrument préhistorique la sonorité d’une pièce d’artillerie.

« Demandez-lui donc s’il ne connaît pas une auberge ? » dit le président à Excourbaniès qui, avec un énorme aplomb, et un tout petit dictionnaire de poche, prétendait servir d’interprète à la délégation, depuis qu’on était en Suisse allemande. Mais, avant qu’il eût tiré son dictionnaire, le joueur de cor répondait en très bon français :

« Une auberge, messieurs ?… mais parfaitement… le Chamois fidèle est tout près d’ici ; permettez-moi de vous y conduire. »

Et, chemin faisant, il leur apprit qu’il avait habité Paris pendant des années, commissionnaire au coin de la rue Vivienne.

« Encore un de la Compagnie, parbleu ! » pensa Tartarin, laissant ses amis s’étonner. Le confrère de Bompard leur fut du reste fort utile, car, malgré l’enseigne en français, les gens du Chamois fidèle ne parlaient qu’un affreux patois allemand.

Bientôt la délégation tarasconnaise, autour d’une énorme omelette aux pommes de terre, recouvra la santé et la belle humeur, essentielle aux méridionaux comme le soleil à leur pays. On but sec, on mangea ferme. Après force toasts portés au président et à son ascension, Tartarin, que l’enseigne de l’auberge intriguait depuis son arrivée, demanda au joueur de cor, cassant une croûte dans un coin de la salle avec eux :

« Vous avez donc du chamois, par ici ?… Je croyais qu’il n’en restait plus en Suisse. »

L’homme cligna des yeux :