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Elle eut un petit cri de surprise et de peur, un geste de recul que Tartarin n’aperçut pas, déjà penché, tâtant l’herbe rase et craquante autour de lui.

« Té, pardi ! le voilà… » s’écria-t-il joyeusement. Il secoua la fine chaussure que la neige poudrait à frimas, mit un genou à terre, dans le froid et l’humide, de la façon la plus galante, et demanda pour récompense l’honneur de chausser Cendrillon.

Celle-ci, plus farouche que dans le conte, répondit par un « non » très sec, et sautillait, essayant de réintégrer son bas de soie dans le soulier mordoré ; mais elle n’y serait jamais parvenue sans l’aide du héros, tout ému de sentir une minute cette main mignonne effleurer son épaule.

« Vous avez de bons yeux… ajouta-t-elle en manière de remerciement, pendant qu’ils marchaient à tâtons, côte à côte.

— L’habitude de l’affût, mademoiselle.

— Ah ! vous êtes chasseur ? »

Elle dit cela avec un accent railleur, incrédule. Tartarin n’aurait eu qu’à se nommer pour la convaincre, mais, comme tous les porteurs de noms illustres, il gardait une discrétion, une coquetterie ; et, voulant graduer la surprise :

« Je suis chasseur, effétivemain… »

Elle continua sur le même ton d’ironie :

« Et quel gibier chassez-vous donc, de préférence ?

— Les grands carnassiers, les grands fauves… fit Tartarin, croyant l’éblouir.

— En trouvez-vous beaucoup sur le Rigi ? »

Toujours galant et à la riposte, le Tarasconnais allait répondre que, sur le Rigi, il n’avait rencontré que des gazelles, quand sa réplique fut coupée par l’approche de deux ombres qui appelaient.

« Sonia… Sonia…

— J’y vais… » dit-elle ; et se tournant vers Tartarin dont les yeux, faits à l’obscurité, distinguaient sa pâle et jolie figure sous une mantille en manola, elle ajouta, sérieuse cette fois :

« Vous faites une chasse dangereuse, mon bonhomme… prenez garde d’y laisser vos os…

Et, tout de suite, elle disparut dans le noir avec ses compagnons.