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— Un train pour le Rigi !… vous badinez ! »

Par la fenêtre à vitraux de plomb de l’auberge, on le lui montra qui partait. Deux grands wagons couverts, sans vasistas, poussés par une locomotive à cheminée courte et ventrue en forme de marmite, un monstrueux insecte agrippé à la montagne et s’essoufflant à grimper ses pentes vertigineuses.

Les deux Tartarin, garenne et choux, se révoltèrent en même temps à l’idée de monter dans cette hideuse mécanique. L’un trouvait ridicule cette façon de grimper les Alpes en ascenseur ; quant à l’autre, ces ponts aériens que traversait la voie avec la perspective d’une chute de mille mètres au moindre déraillement, lui inspiraient toutes sortes de réflexions lamentables que justifiait la présence du petit cimetière de Vitznau, dont les tombes blanches se serraient, tout au bas de la pente, comme du linge étalé dans la cour d’un lavoir. Évidemment ce cimetière est là par précaution, et pour qu’en cas d’accident les voyageurs se trouvent tout portés.

« Allons-y de mon pied, se dit le vaillant Tarasconnais, ça m’exercera… zou ! »

Et le voilà parti, tout préoccupé de la manœuvre de son alpenstock en présence du personnel de l’auberge accouru sur la porte et lui criant pour sa route des indications qu’il n’écoutait pas. Il suivit d’abord un chemin montant, pavé de gros cailloux inégaux et pointus comme une ruelle du Midi, et bordé de rigoles en sapin pour l’écoulement des eaux de pluie.

À droite et à gauche, de grands vergers, des prairies grasses et humides traversées de ces mêmes canaux d’irrigation en troncs d’arbres. Cela faisait un long clapotis du haut en bas de la montagne, et chaque fois que le piolet de l’Alpiniste accrochait au passage les branches basses d’un chêne ou d’un noyer, sa casquette crépitait comme sous une pomme d’arrosoir.

« Diou ! que d’eau ! » soupirait l’homme du Midi. Mais ce fut bien pis quand, le cailloutis du chemin ayant brusquement cessé, il dut barboter à même le torrent, sauter d’une pierre à l’autre pour ne pas tremper ses guêtres. Puis l’ondée s’en mêla, pénétrante, continue, semblant froidir à mesure