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Les délégués eurent un cri :

« Vingt-sept fois ! Boufre !

— Bompard exagère toujours… » dit le P. C. A, sévèrement avec une pointe d’envie.

Au salon, il trouvèrent la famille du pasteur toujours penchée sur les lettres de convocation, le père et la mère sommeillant devant leur partie de dames, et le long Suédois remuant son grog à l’eau de seltz du même geste découragé. Mais l’invasion des alpinistes tarasconnais, allumés par le champagne, donna, comme on pense, quelques distractions aux jeunes convocatrices. Jamais ces charmantes personnes n’avaient vu prendre le café avec tant de mimiques et de roulements d’yeux.

« Du sucre, Tartarin ?

— Mais non, commandant… Vous savez bien… Depuis l’Afrique !…

— C’est vrai, pardon…  ! voilà M. Baltet !

— Mettez-vous là, qué, monsieur Baltet.

— Vive M. Baltet !… ah ! ah !… fen dè brut. »

Entouré, pressé par tous ces gens qu’il n’avait jamais vus de sa vie, le père Baltet souriait d’un air tranquille. Robuste Savoyard, haut et large, le dos rond, la marche lente, sa face épaisse et rasée s’égayait de deux yeux finauds encore jeunes, contrastant avec sa calvitie, causée par un coup de froid à l’aube dans les neiges.

« Ces messieurs désirent faire le Mont-Blanc ? » dit-il, jaugeant les Tarasconnais d’un regard à la fois humble et ironique. Tartarin allait répondre, Bompard se jeta devant lui :

« N’est-ce pas que la saison est bien avancée ?

— Mais non, répondit l’ancien guide… Voici un monsieur suédois qui montera demain, et j’attends, à la fin de la semaine, deux messieurs américains pour monter aussi. Il y en a même un qui est aveugle.

— Je sais. Je l’ai rencontré au Guggi.

— Ah ! monsieur est allé au Guggi ?

— Il y a huit jours, en faisant la Jungfrau… »

Il y eut un frémissement parmi les convocatrices évangéliques, toutes les plumes en arrêt, les têtes levées du côté de Tartarin qui, pour ces Anglaises, déterminées grimpeuses,