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« Boris ?… » Elle tressaillit : « Ah ! oui, c’est vrai, vous ne savez pas… Eh bien ! venez, venez… »

Ils suivaient une ruelle de campagne bordée de vignes en pente jusqu’au lac, et de villas, de jardins sablés, élégants, les terrasses chargées de vigne vierge, fleuries de roses, de pétunias et de myrtes en caisses. De loin en loin ils croisaient quelque visage étranger, aux traits creusés, au regard morne, la démarche lente et malade, comme on en rencontre à Menton, à Monaco ; seulement, là-bas, la lumière dévore tout, absorbe tout, tandis que sous ce ciel nuageux et bas, la souffrance se voyait mieux, comme les fleurs paraissaient plus fraîches.

« Entrez… » dit Sonia poussant la grille sous un fronton de maçonnerie blanche marqué de caractères russes en lettres d’or.

Tartarin ne comprit pas d’abord où il se trouvait. Un petit jardin aux allées soignées, cailloutées, plein de rosiers grimpants jetés entre des arbres verts, de grands bouquets de roses jaunes et blanches remplissant l’espace étroit de leur arôme et de leur lumière. Dans ces guirlandes, cette floraison merveilleuse, quelques dalles debout ou couchées, avec des dates, des noms, celui-ci tout neuf incrusté sur la pierre :

« Boris de Wassilief, 22 ans. »

Il était là depuis quelques jours, mort presque aussitôt leur arrivée à Montreux ; et, dans ce cimetière des étrangers, il retrouvait un peu la patrie parmi les Russes, Polonais, Suédois enterrés sous les fleurs, poitrinaires des pays froids qu’on expédie dans cette Nice du Nord, parce que le soleil du Midi serait trop violent pour eux et la transition trop brusque.

Ils restèrent un moment immobiles et muets, devant cette blancheur de la dalle neuve sur le noir de la terre fraîchement retournée ; la jeune fille, la tête inclinée, respirait les roses foisonnantes, y calmant ses yeux rougis.

« Pauvre petite !… » dit Tartarin ému, et, prenant dans ses fortes mains rudes le bout des doigts de Sonia : « Et vous, maintenant, qu’allez-vous devenir ? »

Elle le regarda bien en face avec des yeux brillants et secs où ne tremblait plus une larme :

« Moi, je pars dans une heure.

— Vous partez ?

— Bolidine est déjà à Pétersbourg… Manilof m’attend