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Tout est comble. On ne sait où poser les pieds.

Je ne connais rien de triste comme ces anciens cimetières. On y sent tant de monde, et l’on n’y voit personne. Ceux qui sont là ont l’air d’être deux fois morts.

… « Qu’est-ce que vous cherchez ? » me demande une espèce de jardinier, fossoyeur, en képi de garde national, qui raccommode un entourage.

Ma réponse l’étonne. Il hésite un moment, regarde autour de lui, puis, baissant la voix :

« Là-bas, me dit-il, à côté de la capote. »

Ce qu’il appelle la capote, c’est une guérite en tôle vernie abritant quelques verroteries fanées et de vieilles fleurs en filigrane… À côté, une large dalle nouvellement descellée. Pas de grille, pas d’inscription. Rien que deux bouquets de violettes, enveloppés de papier blanc, avec une pierre posée sur leurs tiges pour que le grand vent de la butte ne les emporte pas… C’est là qu’ils dorment côte à côte. C’est dans ce tombeau de passage qu’en atten-