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sidait à la fête et souriait paisiblement, du fond d’un cadre ovale, aux singuliers convives qui remplissaient son salon.

Drôle de monde, en effet, pour une soirée de notaire ! Des capotes galonnées, des barbes de huit jours, des képis, des cabans, de grandes bottes ; et partout, sur le piano, sur le guéridon, pêle-mêle avec les coussins de guipure, les boîtes de Spa, les corbeilles en tapisserie, des sabres et des revolvers qui traînaient. Tout cela faisait un étrange contraste avec ce logis patriarcal où flottait encore comme une odeur de pâtisseries de Nanterre, servies par une belle notaresse à des rosières en robe d’organdi… Hélas ! il n’y a plus de rosières à Nanterre. On les a remplacées par un bataillon de francs-tireurs de Paris, et c’est l’état-major du bataillon — campé dans la maison du notaire — qui nous offrait le thé ce soir-là…

Jamais le coin du feu ne m’avait paru si bon. Au dehors, le vent soufflait sur la neige et nous apportait, avec le bruit des heures grelottantes, le qui-vive des sentinelles et, de loin en loin, la détonation