Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se prolongent entre la verdure des deux jardins, et qui élargie, agrandie de tentures et de cloisons, transformée en conseil de guerre, gardait encore avec ses trumeaux peuplés de colombes et d’amours, comme un souvenir, un parfum des élégances passées. Le duc d’Aumale présidait ; Bazaine était à son banc d’accusé, hautain, têtu, inconscient, despotique, la poitrine barrée de rouge par le grand cordon. Et certes il y avait quelque chose de haut dans ce spectacle d’un soldat qui, traître à la patrie, allait être jugé en pleine république par le descendant des anciens rois. Les témoins défilaient, des uniformes et des blouses, des maréchaux et des soldats, des employés des postes, d’anciens ministres, des paysans, des bonnes femmes, des forestiers et des douaniers dont le pied habitué à l’humus élastique des bois ou au rugueux cailloutis des grandes routes, glissait sur les parquets et butait aux plis des tapis, et qui, par leur salut interloqué et craintif, eussent fait rire si l’embarras naïf de tant d’humbles héros n’avait plutôt tiré des