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son dos, presque réjoui de l’aventure. Il me vit, me serra la main : une poignée de main qui disait bien des choses. Puis Spuller et lui entrèrent dans la nacelle : « Lâchez tout ! » clama la voix de Nadar. Quelques saluts, un cri de vive la République, le ballon qui file, et plus rien.

Le ballon de Gambetta arriva sain et sauf, mais combien d’autres tombèrent percés de balles prussiennes, périrent, en mer dans la nuit, sans compter l’invraisemblable aventure de celui qui poussé vingt heures par la tempête, s’en alla échouer en Norvège, à deux pas des fiords et de l’Océan glacé. Certes, quoi qu’on en ait pu dire, il y avait de l’héroïsme dans ces départs, et ce n’est pas sans émotion que je me rappelle cette poignée de main dernière et cette nacelle d’osier qui, plus petite et plus fragile que la barque historique de César, emportait dans le ciel d’hiver toute l’espérance de Paris.

Je ne retrouvai Gambetta qu’un an plus tard, au procès de Bazaine, dans cette salle à manger d’été du Trianon de Marie-Antoinette, dont les entre-colonnements gracieux