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d’étalages multicolores et de cris. La foule grouillait, le jour tombait ; dans l’air des lambeaux de Marseillaise. Tout à coup, bien dans mon oreille, une voix du faubourg, goguenarde et traînante, cria : « Ach’tez la femme Bonaparte, ses orgies, ses amants,… deux sous ! » et on me tendait un carré de papier, un canard frais encore de l’imprimerie. Quel rêve ! En plein Paris, à deux pas de ces Tuileries où le bruit des dernières fêtes flotte encore, sur ces mêmes boulevards que quelques mois auparavant j’avais vus, balayés à coups de casse-têtes, chaussée et trottoirs, par des escouades de policiers. L’antithèse me fit une impression profonde, et j’eus cinq minutes durant le sentiment net et aigu de cette chose effrayante et grandiose qu’on appelle une révolution.

Je vis Gambetta une fois, dans cette première période du siège, au ministère de l’Intérieur — où il venait de s’installer comme chez lui, sans étonnement, en homme à qui arrive une fortune dès longtemps présagée — en train de recevoir tranquillement,