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avant l’orage ; ah ! Nous allions en voir, nous tous de la génération qui se plaignait de n’avoir rien vu. Gambetta, à la suite de sa plaidoirie au procès Baudin, était en train de passer grand homme, les anciens du parti républicain, les combattants de 51, les exilés, les vieilles barbes avaient pour le jeune tribun des tendresses paternelles, les faubourgs attendaient tout de « l’avocat borgne », la jeunesse ne jurait que par lui. Je le rencontrais quelquefois : « il allait être nommé député,… il revenait de faire un grand discours à Lyon ou bien à Marseille !… » Toujours agité, sentant la poudre, toujours dans l’excitation d’un lendemain de bataille, parlant haut, serrant fort la main et rejetant en arrière ses cheveux dans un geste plein de décision et d’énergie. Charmant, d’ailleurs, plus que jamais familier et se laissant volontiers arrêter dans son chemin pour causer ou rire : « Déjeuner à Meudon ? répondait-il à un de ses amis qui l’invitait, volontiers ! mais un de ces jours, quand nous en aurons fini avec l’Empire. »