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tres et les pénétrant avec la subtilité compréhensive d’un amoureux et d’un poète. Il aimait Gambetta inconnu, pressentant chez lui son grand rôle, il continua à l’aimer plus tard malgré de terribles dissentiments politiques, et vint mourir un jour à sa table, de joie on peut le dire, et dans l’ivresse d’une tardive réconciliation. Ces promenades à travers le Salon, à travers le Louvre, au bras de Théophile Silvestre, avaient fait à Gambetta auprès de certains hommes d’État en herbe, dès l’enfance sanglés et cravatés, une sorte de réputation de paresse. Ce sont ceux-là encore, mais grandis, qui toujours pleins d’eux-mêmes et toujours hermétiquement bouchés, le traitent en petit comité d’homme frivole et de politique pas sérieux, parce qu’il se plaît à la compagnie d’un garçon d’esprit qui est comédien. Cela prouverait tout au plus qu’alors comme aujourd’hui Gambetta se connaissait en hommes et savait le grand secret pour se servir d’eux, qui est de s’en faire aimer. Un trait de caractère qui achèvera de peindre le Gambetta d’alors : cette voix de porte-voix,