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jourd’hui loti ou espérant l’être, affecte pour ces mœurs un dédain de bon goût et traite volontiers de vieux étudiants les hommes nouveaux, a longtemps vécu et vit encore (j’en connais) des bribes d’éloquence ou de haute raison que des prodigues bien doués laissaient alors traîner sur les tables. Sans doute quelques-uns de nos jeunes tribuns s’attardèrent, vieillirent sur place, parlèrent toujours et ne firent jamais rien. Tout corps d’armée a ses traînards qu’en fin de compte la tête abandonne ; mais Gambetta n’était pas de ceux-là. S’il s’escrimait au café sous le gaz, ce n’était qu’après avoir rempli de travail réel sa journée. Comme l’usine, le soir, lâche sa vapeur au ruisseau, il venait là répandre en paroles son trop-plein de verve et d’idées. Cela ne l’empêchait point d’être étudiant sérieux, d’avoir des triomphes à la conférence Molé, de prendre ses inscriptions, de conquérir ses diplômes et ses licences. Un soir, chez Mme  Ancelot, — qu’il y a longtemps de cela, Dieu de Dieu ! — dans ce salon de la rue Saint-Guillaume plein de vieillards pétillants