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sait la voile droit au but et nous arrivait en rasant les vagues qu’elle fronçait d’un frisson serré.

Au loin, des côtes se devinaient à quelque plage de sable, à quelque maison blanche subitement frappée de soleil, éclatantes entre le bleu nuancé des vagues et le bleu monotone du ciel où couraient seulement ces nuées légères, fouettées, effrangées, que les marins appellent ici des « queues de cheval », et qui présagent un vent frais pour le soir.

La traversée nous a semblé courte.

Rien de plus uniforme en apparence que la mer par un beau temps ; des vagues qui se succèdent d’un rythme égal, se brisent au bateau en mousses murmurantes, s’enflent, se creusent, remuées par une lourdeur inquiète où l’orage est latent ; et pourtant rien de plus varié. Tout prend une valeur énorme sur cette surface douée de mouvement et de vie. Ce sont des navires au large, le paquebot-poste de Belle-Isle qui passe au loin, sa fumée en panache, des barques de pêche avec leurs voiles blanches