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salon allumés. On buvait, on mangeait en hâte, puis le maître donnait un sujet de scène, une situation dramatique à rendre, et, s’allongeant sur son fauteuil, un flacon de vin près de lui : « Maintenant, vas-y ! »

Le bon comédien Lafontaine m’a souvent raconté l’histoire d’un de ces scénarios improvisés. « Voilà, dit Frédérick, vautré sur son divan, tu es un petit employé, marié depuis trois ans… C’est ce soir la fête de ta femme, que tu adores… En son absence, tu lui as préparé un bouquet, une surprise, un bon petit souper comme celui-ci… Et tout à coup, en mettant le couvert, tu découvres une lettre qui t’apprend que tu es indignement trompé… Tâche de me faire pleurer avec ça… Marche. » Vivement Lafontaine se met à l’œuvre, dresse son couvert en conscience, sans tricherie, — car Frédérick ne plaisantait pas sur la question des accessoires, — pose son bouquet au milieu de la table avec des petits rires, des regards mouillés, puis, frémissant d’impatience et de joie, ouvre le tiroir où la surprise est serrée, trouve une lettre, la lit machinalement et