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lité, de bonhomie, et cet admirable accent de nature que personne n’a comme lui. Après dix ans passés là, au lendemain du grand succès du Demi-monde dont il avait eu sa belle part, Dupuis se laissa tenter par un engagement en Russie ; il y resta longtemps, trop longtemps, et lorsqu’il nous revint, après dix-sept ans d’absence, eut quelque mal à reconquérir son public. C’est l’histoire de tous les revenants du théâtre Michel. Il faut croire que le diapason n’est pas le même à Saint-Pétersbourg que chez nous ; on doit parler plus bas, jouer plus discrètement, s’entendre à demi-mot et ne rien souligner, comme dans un salon, entre gens qui se connaissent et ne sont pas très difficiles. À ce jeu-là, qualités et défauts s’estompent, s’atténuent. Nous reconnaissons bien nos artistes, mais la rampe n’a pas l’air montée ; on les voit confusément comme à travers une gaze. Le soir du Nabab, par exemple, les vieux Parisiens retrouvèrent leur Dupuis, avec tous ses dons d’autrefois, même quelque chose en plus, une largeur d’envergure, une fougue de sang marseillais