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sommer le pillage de nos pauvres palais d’été.

Mon palais à moi était si modeste, si bien enfoui dans les acacias, qu’il aura peut-être échappé au désastre ; mais je n’irai m’en assurer que quand les Prussiens seront partis, et bien longtemps après encore. Je veux laisser au paysage le temps de s’assainir… Quand je pense que tous nos jolis coins, ces petites îles de roseaux et de saules grêles où nous allions le soir nous allonger au ras de l’eau pour écouter chanter les rainettes, les allées pleines de mousse où la pensée, en marchant, s’éparpillait tout le long des haies, s’accrochait à toutes les branches, ces grandes clairières de gazon où l’on était si bien pour dormir au pied des chênes, avec un tournoiement d’abeilles dans le haut, qui nous faisaient un dôme de musique, quand je pense que cela a été à eux, qu’ils se sont assis partout ; alors ce beau pays ne m’apparaît plus que fané et triste. Cette souillure m’effraye encore plus que le pillage. J’ai peur de ne plus aimer mon nid.