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coucher, dormir… Puis au réveil, froidement, sans colère, il dirait à la femme : « Voilà… je sais qui tu es… Ce n’est pas ta faute ni la mienne ; mais nous ne pouvons plus vivre ensemble. Séparons-nous… » Et pour se mettre à l’abri de ses poursuites, il irait embrasser sa mère et ses sœurs, secouer au vent du Rhône, au libre et vivifiant mistral, les souillures et l’effroi de son mauvais rêve.

Elle s’était couchée, lasse d’attendre, et dormait en plein sous la lampe, un livre ouvert sur le drap devant elle. Son approche ne l’éveilla pas ; et debout près du lit, il la regardait curieusement comme une femme nouvelle, une étrangère qu’il aurait trouvée là. Belle, oh ! belle, les bras, la gorge, les épaules, d’un ambre fin, solide, sans tache ni fêlure. Mais sur ces paupières rougies, – peut-être le roman qu’elle lisait, peut-être l’inquiétude, l’attente, – sur ces traits détendus dans le repos et que ne soutenait plus l’âpre désir de la femme qui veut être aimée, quelle lassitude, quels aveux ! Son âge, son histoire, ses bordées, ses caprices, ses collages,