Page:Daudet - Sapho, 1884.djvu/272

Cette page n’a pas encore été corrigée

sur la terre amollie par les pluies de l’automne. Elle avait chaud d’être venue si vite, les joues allumées, les yeux brillants, s’arrêta pour enlever la grande mantille de blonde, un cadeau de Rosa, dont elle s’était garantie la tête en sortant, le reste fragile et coûteux des splendeurs passées. La robe qu’elle portait, une pauvre robe en soie noire, craquée sous les bras, à la taille, il la lui connaissait depuis trois ans ; et quand elle la relevait, en passant devant lui, à cause de quelque flaque, il voyait les talons de ses bottines qui se tournaient.

Comme elle avait pris gaiement cette demi-misère, sans regret ni plainte, occupée de lui, de son bien-être, jamais plus heureuse que lorsqu’elle le frôlait, les deux mains croisées sur son bras. Et Jean se demandait en la regardant toute rajeunie de ce renouveau de soleil et d’amour, quelle poussée de sève il y avait dans une créature pareille, quelle merveilleuse faculté d’oubli et de pardon, pour garder tant de gaieté, d’insouciance, après une vie de passions, de traverses et de larmes, tout cela marqué sur son visage,