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ne pouvais pas me douter… Le jour où je devais partir, elle me dit d’un air tranquille : « Emmène-moi, Déchelette… ne me laisse pas seule… je ne pourrai plus vivre sans toi… » Ça me faisait rire. Me voyez-vous avec une femme, là-bas, chez ces Kurdes… Le désert, les fièvres, les nuits de bivouac… À dîner, elle me répétait encore : « Je ne te gênerai pas, tu verras comme je serai gentille… » Puis, voyant qu’elle me faisait de la peine, elle n’a plus insisté… Après, nous sommes allés aux Variétés dans une baignoire… tout cela convenu d’avance… Elle paraissait contente, me tenait la main tout le temps et murmurait : « Je suis bien… » Comme je partais dans la nuit, je la ramenai chez elle en voiture ; mais nous étions tristes tous deux, sans parler. Elle ne me dit même pas merci pour un petit paquet que je lui glissai dans la poche, de quoi vivre tranquille un an ou deux. Arrivés rue Labruyère, elle me demande de monter… Je ne voulais pas. « Je t’en prie… jusqu’à la porte seulement. » Mais là je tins bon, je n’entrai pas. Ma place était retenue, mon sac fait, puis j’avais trop dit que je partirais…