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N’y va pas !…

Et subitement ils se trouvèrent tous deux sur le trottoir de la rue de Rome. Des fiacres attendaient dans le matin blême. Des balayeurs, des ouvriers allant au travail regardaient cette maison de fête grondante et débordante, ce couple travesti, un Mardi Gras en plein été.

« Chez vous, ou chez moi ?… » demanda-t-elle. Sans bien s’expliquer pourquoi, il pensa que chez lui ce serait mieux, donna son adresse lointaine au cocher ; et pendant la route qui fut longue ils parlèrent peu. Seulement elle tenait une de ses mains entre les siennes qu’il sentait très petites et glacées ; et, sans le froid de cette étreinte nerveuse, il aurait pu croire qu’elle dormait, renversée au fond du fiacre, avec le reflet glissant du store bleu sur la figure.

On s’arrêta rue Jacob, devant un hôtel d’étudiants. Quatre étages à monter, c’était haut et dur. » Voulez-vous que je vous porte ?… » dit-il en riant, mais tout bas, à cause de la maison endormie. Elle l’enveloppa d’un lent regard, méprisant et tendre, un regard d’expérience qui le jaugeait et clairement disait : « Pauvre petit… »