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ROSE ET NINETTE

rani, mère d’un aumônier de la marine absent. pour plusieurs années, louait au baron Rouchouze. Des coquillages, des plantes exotiques, des coraux séchés, une frégate en miniature sur la cheminée, des images de sainteté à la muraille, et partout, au dos des fauteuils fanés, sur le marbre fêlé de la console, des ouvrages au crochet, des tapis de pied devant les sièges, dissimulant mal le carreau dérougi, tout cela froid, mal éclairé, inconfortable, appauvri encore d’une odeur d’oignon frit venant de la cuisine. Le contraste était comique de cette installation aux chiqueuses façons du locataire et de son majestueux Firmin.

Celui-ci paraissait plus gêné que son maître d’initier un Parisien aux misères de leur intérieur ; pour les dissimuler, il redoublait de tenue, de correction, lançait un « Monsieur le baron est servi », d’une solennité bien inutile, quand on entrait dans la salle à manger sans feu, sans rideaux aux fenêtres, noires et hautes, étoilées des fanaux tremblotants du port, à la table mélancolique où fumait la soupe à l’oignon entre un plat de poisson bouilli et le caillé traditionnel, le bruccio sans lequel il n’y a pas de dîner corse.

Ah ! oui, M. le baron était servi, mais bien piteusement ; ce qui ne l’empêchait pas d’enfler son jabot, de cligner des petits yeux coquins en narrant, d’un bout à l’autre du dîner, ses