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ROSE ET NINETTE

mains tremblaient en les aidant à défaire leurs sveltes jaquettes, leurs chapeaux ronds entourés de plumes. Les petites aussi s’intimidaient un peu devant la situation nouvelle. Certainement leur père était toujours leur père, le gai, l’aimable papa qui les faisait si bien jouer, danser sur ses genoux toutes gamines ; mais ce n’était plus le mari de leur mère, et de là un changement qu’elles sentaient, qu’elles n’auraient pu exprimer, qui passait dans l’étonnement naïf de leurs yeux.

Cette gêne se dissipa peu à peu, pendant la visite de l’appartement encore inconnu des fillettes, et dont les pièces, toutes luisantes d’une claire lumière de mai, ouvraient les unes sur le boulevard, les autres sur le jardinet de l’hôtel, agrandi par les frondaisons voisines. Presque partout du mobilier neuf. Pourtant, dans le cabinet de travail, les enfants retrouvaient la bibliothèque et l’énorme table à écrire dont la prévoyance paternelle avait fait arrondir les angles, dangereux aux petites têtes pour les parties de cache-cache. Que de souvenirs aux moindres encoignures de ces meubles massifs, aux cuivres contournés de leurs tiroirs !

« Te rappelles-tu, Ninette, cette fois où maman ?… »

Mais Ninette, la petite, autrement délurée et vive que l’aînée, coupe l’anecdote d’un regard. C’est qu’avant d’envoyer ses filles chez