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ROSE ET NINETTE

certaines choses de son cœur, il les gardait pour elle seule.

C’est ainsi qu’un soir, Ninette et la gouvernante restées en arrière, il essayait de lui parler de Pauline Hulin, de la solide et noble amitié qu’il trouvait chez cette femme :

« Tu l’as mal jugée, ma fille, mais tu verras, un jour tu la connaîtras mieux… »

Rose ne répondait pas, les yeux au large, comme absorbée par les feux changeants du phare, son clignement lumineux.

« Sais-tu, continua Fagan, que, si elle avait été veuve comme je le croyais d’abord, je l’aurais épousée probablement… Cela t’aurait-il fait de la peine ?

— Oh ! oui, murmura la jeune fille avec une violence contenue.

— Et pourquoi ?

— Parce que sentir une femme nouvelle entre mon père et moi, une autre femme que maman dans la maison…

— Pourtant, ta mère s’est remariée… Il y a un autre homme que ton père, chez vous, auprès d’elle.

— Oh ! ce n’est pas la même chose… ou, du moins, cela ne me fait pas la même chose. »

Fagan rit, à demi fâché :

« Alors ta mère avait le droit de se marier et moi pas ? Tu me condamnes à rester veuf, à vivre seul, tandis que tu te marieras, toi aussi,