Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
ROSE ET NINETTE

d’être battu par un auteur célèbre, et comptant sur le baccara plus productif de son cercle de pannés.

Le soir aussi, Fagan, au bras de ses deux filles, dans le décor magique dont ses yeux ne se lassaient pas, oubliait l’abrutissement de ses journées. Toujours le premier arrivé, assis en quelque abri de roche au bord de l’eau, il entendait venir de loin le craquement des petites bottines sur la route, des rires étouffés, le clair chuchotis de ses fillettes qu’amusaient le romanesque, le mystère de leurs rencontres.

« Un vrai rendez-vous d’amoureux, » murmurait Ninette.

Et Rose :

« Un amoureux pour deux, alors ?

— Même pour trois : nous avons Mademoiselle. »

Subitement le père se montrait, et c’était un décliquement de jolis petits cris de peur, puis de longs baisers, et du caquetage à voix basse sur l’emploi de leur journée, les visites reçues et rendues, l’essayage de leurs costumes pour le grand bal paré et travesti qui devait se donner à la préfecture la nuit du mardi gras. Ninette en infante de Velasquez aux jupes raides, aux clairs satins ; Rose en noble vénitienne, ses cheveux passés au henné.

« Et dire que je ne pourrai pas vous voir !… ronchonnait le pauvre Fagan, obligé de s’em-