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ROSE ET NINETTE

vait tard, guettait par l’entre-bâillure de ses persiennes ensoleillées l’entrée d’un navire, d’un corailleur napolitain, sa haute voile ouverte de biais comme une aile, lisait sans regarder son livre, et, après trois maigres repas expédiés sans appétit, atteignait enfin neuf heures du soir, l’instant où ses filles viendraient le rejoindre sur la route des Sanguinaires.

Aussi, quand, le surlendemain de leur rencontre, le baron Rouchouze apparut, un jeu tout neuf dans sa poche, et lui offrit un joli cinq sec, à un louis la fiche, l’ancien batteur de cartons qu’avait été de Fagan en sa jeunesse surgit de l’ennui de cette chambre d’hôtel, et la partie commença… Faire trois cents lieues, passer la mer, habiter cette île parfumée et pittoresque de roches et de maquis, et s’enfermer à volets clos pour des parties interminables avec le petit Rouchouze, quand on est. Régis de Fagan, l’écrivain dramatique des Français et du Vaudeville !…

Vers six heures, Firmin rasé, correct, en noir de la tête aux pieds, apportait un verre d’eau de Vichy à son maître, qui ne manquait jamais, en remettant le verre vide sur le plateau, de faire au majestueux larbin, de son pouce frotté vivement contre l’index, une expressive demande : « Passe-moi quelques louis… » car la malechance s’acharnait au baron, malechance dont il se consolait en songeant à l’honneur