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ROSE ET NINETTE

depuis le divorce, elles restaient livrées à la mère et à la gouvernante. Son avocat le lui avait bien dit : « La partie n’est pas égale, mon pauvre Régis ; vous n’aurez que deux jours par mois, vous, pour vous faire aimer. » N’importe, avec ses deux jours bien employés, le père se sentait assez fort pour garder le cœur de ses chéries ; mais il les lui fallait, ces deux jours, strictement, sans tricheries, sans mauvais prétextes. Et plus anxieux à mesure qu’avançait l’heure, plus ému par ce rendez-vous que par n’importe quel autre, passionnel ou intéressé, de son existence, Fagan s’agitait rageusement, penchant aux fenêtres son grand corps dans les deux directions du boulevard de banlieue verdoyant et paisible que bordaient, d’un côté, la voie du chemin de fer masquée d’un treillage et d’une haie, de l’autre, l’alignement d’élégants hôtels aux perrons, aux vases fleuris, aux pelouses soignées.

« Bonjour, père… c’est nous !

— Vous ! mais par où ?… mais comment donc ? »

Dans sa fièvre à surveiller l’heure, les trains, les passants du boulevard, il ne les avait pas vues arriver ; et voici qu’elles surgissaient de la petite antichambre, qu’elles étaient là, devant lui, grandies, lui semblait-il, plus femmes, depuis deux ou trois mois qu’on ne s’était vu. Ses