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ROSE ET NINETTE

une promenade mystérieuse comme celle-ci.

— Mais, le jour, que deviendras-tu ? dit Rose touchée de cette grande affection sans ombre d’égoïsme. Encore si je pouvais venir m’enfermer avec toi. »

Et Ninette, vivement :

« Tu n’y songes pas, ma sœur ! Qu’on voie l’une de nous entrer à l’hôtel, connues comme nous sommes !…

— Non, non, mes enfants, ne vous occupez pas de mes journées ; je chercherai un dénouement qui me manque, ou j’irai pêcher au large avec les sardiniers. Je serai toujours content pourvu que le soir je retrouve mes filles et que nous causions ensemble devant ce magique horizon. .. Il fait si bon, on est si bien… Ah ! mes chéries… »

C’est vrai qu’une soirée pareille lui payait bien des mois de tristesse et de solitude. Ninette sur ses genoux, Rose appuyée à son épaule, devant eux la mer argentée, la mer immense, s’étalant le long du rivage en lourdes secouées de bruit et d’écume. Au large, sur la droite, le clignotement du phare des Sanguinaires dont la prunelle est tour à tour verte ou rouge ; et, remuées par la tiède haleine de la nuit, des ombres de branchages légères et frémissantes, des odeurs d’orangers, de citronniers venues des jardins de Barbicaglia ou des chutes mates de fruits mûrs sur la terre, font