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ROSE ET NINETTE

lons d’or étincelèrent sur le perron du jardin. La Posterolle prit son élan : « Ah ! mon amiral… » Et les modulations de sa voix d’estradier, d’homme du monde, furent couvertes par la fanfare du Redoutable attaquant la Marseillaise au déchirement de tous ses cuivres. Bientôt le bal commençait, et, tandis que des salons aveuglants de lumières la valse allait se perdre en tournant dans les ombrages parfumés du jardin, Mlles de Fagan, des pelisses sombres sur leurs robes ouvertes, s’évadant furtivement avec leur Anglaise, gagnaient, le long des hautes maisons noires, la place du Diamant, qui méritait bien son nom, ce soir-là, sous l’éblouissante clarté de la pleine lune et la réverbération métallique et mouvante de la mer étalée au loin.

Dans cet éclairage de féerie, une silhouette découpée en noir arpentait frénétiquement l’asphalte désert de la place.

Comment Régis de Fagan s’était-il résigné à laisser partir ses filles ? Et pourquoi toutes deux, lorsqu’on ne lui en demandait qu’une ? Cela résultait d’un conseil de Mme Hulin, après la visite de Ninette.

« Supposez, lui disait-elle, que vous gardiez, comme on vous le propose, une de vos filles à l’Assomption, loin de sa sœur et de sa mère, avec l’unique distraction des deux dimanches passés auprès de vous. Votre enfant se croira