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ROSE ET NINETTE

et chapeautées à miracle, tous ces boulevardiers, journalistes et gens de bourse à tempéraments de joueurs, se disaient entre eux avec envie : « Des fétiches pareils… pas étonnant qu’il ait la veine ! »

Soudain, le groupe enthousiaste, autour du triomphant auteur s’écarta devant une toilette à effet ; c’était Mme  Ravaut, précipitée en avant, la main tendue et secouant celle de Régis, en camarade, virilement : « Bien, ça, mon petit Fagan, très bien. » Puis un sourire radieux à ses filles, et elle passa, laissant une certaine stupeur après son acte si direct, si imprévu, et diversement jugé par les couloirs. D’aucuns y voyaient un coup de tête, un enthousiasme irréfléchi, l’amour de l’Art au-dessus des conventions gênantes ; d’autres, et Régis était du nombre, reconnaissaient bien là cette race de mondaines à réclame, voulant « en être » à tout prix, et se taillant un rôle dans n’importe quelle pièce où elles ne jouent pas.

« Bien ça, mon petit Fagan !… » Il en riait tout seul après avoir mis ses filles et leur gouvernante en voiture, et regagnant à pied son logis lointain pour calmer sa fièvre et ses nerfs au froid hivernal d’une belle nuit claire.

Par contraste, des souvenirs lui revenaient de rentrées avec sa femme, certains soirs où sa pièce n’avait pas réussi. Comme elle lui en voulait alors, de quel mauvais rire elle souffle-