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ROSE ET NINETTE

avant-scène des premières, l’auteur de la pièce installait dans une baignoire ses deux filles, chaperonnées de leur Anglaise en bois peint. La salle avait un aspect fantomatique, sous la lumière à demi-lustre laissant voir çà et là, aux divers étages, des groupes d’ombres chuchoteuses, critiques, amis de l’auteur et du théâtre, modistes, couturières, habilleuses ; et de temps en temps, par l’entre-bâillure d’une porte, flottaient les rubans roses des ouvreuses dans les corridors flamboyants.

« Eh bien ! ça marche, il me semble, » murmurait de Fagan, avançant entre ses deux filles rayonnantes une tête de condamné à mort, aux yeux sans regard, aux lèvres décolorées, comme s’il en était à sa première pièce.

« Si ça marche !… mais écoute donc, » répondait Ninette, sans s’interrompre d’applaudir ce second acte, à la fin duquel tous les groupes épars dans la salle s’unissaient pour une véritable ovation. Rose en avait des larmes dans ses yeux purs, et là-haut Mme Ravaut, éclairée par la rampe, toute penchée hors de sa loge, sans la moindre gêne de sa fausse situation, se pâmait, poussait des cris connaisseurs, aux claquements de son éventail : « Ah ! très bien… ça, c’est gentil ! » et des sourires d’intelligence, d’approbation aux artistes en scène, à croire qu’elle était encore la femme de l’auteur.

Femme de l’auteur un soir de succès, voilà