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ROSE ET NINETTE

avec précaution son appartement, dans l’impossibilité de tout travail, tendait une oreille anxieuse aux bruits du rez-de-chaussée, guettait une plainte, un cri, comme s’il s’agissait d’une de ses filles.

Parfois, son angoisse s’attardait à une fenêtre et au tambourinement machinal des vitres sous ses doigts crispés ; et tout à coup voici que dans une bourrasque d’automne qui échevelait les nuages et tordait les vieux ormes du jardin avec des craquements, des sifflements de mâts, il aperçut par les allées un homme de trente-cinq à quarante ans, trapu, le teint de feu, la moustache en brosse, la taille sanglée dans une redingote militaire, et qui, paraissant inquiet et désœuvré comme lui-même, surveillait de regards douloureux la haute chambre du rez-de-chaussée où travaillaient les chirurgiens.

Fut-ce un de ces regards dont Régis surprit la détresse, ou l’aspect de cet homme, tête nue malgré la tempête, l’air chez lui ? Il songea soudainement : « C’est le père… c’est le mari, » et n’en douta plus quand Mme Hulin, en long peignoir, ses cheveux défaits, les quatre marches du perron franchies d’un élan, courut vers l’homme, rayonnante. Elle lui parlait très vite, sans doute l’opération finie, réussie, et tout en parlant élevait les mains, retenait l’envolement de ses cheveux en boucles fines. Alors, d’un geste fougueux, l’homme voulut saisir la taille