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LA FÊTE DES TOITS

comme une seconde ville, un Paris aérien suspendu entre le vide de l’ombre et la lumière fantastique de la lune.

Quoiqu’il fût encore de bonne heure, tous les feux étaient éteints, pas la moindre fumée ne flottait sur les toits. Pourtant les cheminées heureuses, où chaque jour le bois flambe et craque, se reconnaissaient bien au cercle noir que la fumée élargit autour d’elles et à leur souffle tiède montant dans l’air glacé, comme l’haleine de la maison endormie. Les autres, rigides, serrées dans la neige épaisse, gardaient encore des nids du dernier printemps, vides comme elles de chaleur et de vie… Et dans cette ville haute, engourdie de blancheur, que les rues de Paris traversaient en tous sens comme d’immenses crevasses, les ombres de toutes ces cheminées inégales déchiquetées et noires ainsi que des arbres d’hiver s’entre-croisaient sur des avenues désertes où personne n’avait jamais marché, excepté les moineaux parisiens, dont les traces aiguës et sautillantes égratignaient de place en place la neige cristallisée. À cette heure même une bande de ces effrontés petits bohèmes s’agitait, voletait au bord d’une gouttière, et leurs cris troublaient seuls le silence religieux, l’attente solennelle de la ville des toits, recouverte entièrement d’un immense tapis d’hermine comme pour le passage d’un roi-enfant.