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LE BRISE-CAILLOUX

tinct de terre-neuve. Un certain fusil porte-amarre dont il était l’inventeur, et qu’il rêvait de voir entre les mains de tous les douaniers de la côte, revenait toujours dans la conversation. Il avait envoyé à Paris depuis longtemps l’exposé de ce fameux système et s’étonnait que l’Académie des sciences fût si longue à lui répondre. C’était la seule tristesse de sa vie. Du reste, la plus jolie vieillesse du monde, et, dans le danger, toujours le mot pour rire. Quand la mer devenait vraiment méchante, il vous avait une façon réjouie de crier : « Veille à l’écoute, garçons, on va tremper le nez dans le vinaigre ! » qui vous hérissait la peau. Puis, en pleine bourrasque, s’il me voyait « croché » quelque part sur le pont, regardant le ciel d’un air vague et serrant entre mes dents à la briser ma pipe marseillaise, éteinte depuis une heure, il me glissait dans l’oreille :

« N’ayez pas peur, mon camarade, vous êtes avec un ponantais… Je finirai bien par me noyer quelque jour, mais ce sera dans l’Océan. »

Il s’est tenu parole. M. Vildieu est mort, une nuit, sur la côte bretonne, en essayant de secourir un caboteur en détresse. Ah ! le pauvre vieux ! S’il avait eu là son porte-amarre…