Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
LE BRISE-CAILLOUX

l’équipage du Brise-Cailloux, qui m’a fait le récit de cette très véridique expédition, il y a quelques années, un soir d’hiver. L’aspirant de 1816 était devenu un vieux marin de la Douane sur le point de prendre sa retraite, mais toujours passionné pour la mer. Il m’emmenait souvent avec lui dans ses tournées, et nous avons vu ensemble quelques jolis coups de foutreau.

Ce soir-là, fuyant devant le gros temps, nous étions venus nous abriter en face de Bonifacio, dans une petite calanque des côtes de Sardaigne. Quelle nuit ! quel endroit divin ! Au loin, des feux de charbonniers lucquois s’allumant parmi les roches ; plus près une équipe de corailleurs napolitains qui raccommodaient leurs filets en chantant. Puis les grandes lueurs claires de notre bivouac se reflétant dans l’eau, les matelots accroupis tout autour, la bouillabaisse odorante qui fumait, et debout, le dos à la flamme, avec sa moustache blanche, son sourire sans dents, mais si bon, ses petits yeux gris tout de malice héroïque, M. Vildieu nous contant l’odyssée du Brise-Cailloux.

C’était le vrai marin ponantais, ce Vildieu. Il avait fait son premier voyage’à sept ans ; et, depuis, toujours en mer ou sur les côtes. À son compte, il s’était trouvé à dix-huit naufrages ; mais ce qu’il ne disait pas, ce sont les sauvetages qu’il avait accomplis avec son ins-